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À la sortie du vol Brussels Airlines en provenance de Kinshasa, après une nuit de vol sans sommeil, nous sommes accueillis à Bruxelles par le froid hivernal de la fin du mois de janvier.
Il ne fait que 4 ° ! Heureusement, il ne gèle pas et la neige ne recouvre pas le sol comme au mois de décembre.
Le contrôle de police est franchi assez rapidement et sans aucun problème pour Blandine qui foule pour la première fois le sol belge avec son visa Schengen tout neuf. Je suis néanmoins surpris qu’à la sortie de l’Airbus 330, une escouade de policiers nous attende avant le contrôle officiel. Simple mesure de précaution pour éviter que certains passagers sans visa n’aillent se perdre dans les recoins de l’aérogare de Zaventem pour réapparaître, quelques heures plus tard, après avoir fait disparaître dans la cuvette des toilettes les documents falsifiés ayant permis leur embarquement. Il leur suffit alors de se présenter aux services officiels qui ne peuvent évidemment pas vérifier leur origine ni les renvoyer à la case départ de ce gigantesque jeu de l’oie qu’est devenue l’entrée à l’Europe. En cas de doute, ces clandestins seront immédiatement embarqués vers la case prison, c’est-à-dire le Centre de transit fermé qui jouxte l’aéroport où ils seront hébergés pendant la durée de la procédure. Les autorités sauront au moins où les réexpédier le cas échéant.
Mais avant d’en arriver là, il avait fallu décrocher ce fameux visa Schengen. Cela ne fut pas sans peine, car aux papiers requis officiellement, je dus ajouter en dernière minute, à la demande de l’Office belge des étrangers, des documents attestant que j’allais bien me faire opérer en Belgique. À la surprise générale, deux semaines à peine après avoir déposé le dossier de Blandine, un appel téléphonique de Kinshasa nous annonçait que le visa était prêt. Les billets d’avion reçus par Internet, nous sommes repassés par Kinshasa pour récupérer le passeport et embarquer un lundi soir à bord du vol quotidien de Brussels Airlines.
Ayant pris possession d’une voiture de location dans le parking de l’aéroport, nous nous sommes plongés, le chauffage enclenché à fond, dans les embouteillages de ce début de matinée. Il nous fallut deux bonnes heures pour rejoindre l’hôpital Saint-Pierre où m’attendait ma première visite préopératoire. La circulation dans Bruxelles ne s’améliore malheureusement pas au fil des ans. À l’entrée de l’hôpital, une hôtesse d’accueil nous expliqua comment atteindre le service d’imagerie médicale, dans ce dédale composé de bâtiments construits à diverses époques, mais splendidement rénovés. Il nous aurait presque fallu un GPS, car d’une aile à l’autre du complexe, on ne se trouve pas au même étage. Après m’être excusé auprès du médecin échographiste de mon retard, celui-ci me demanda si je n’avais pas fait du scoutisme dans ma jeunesse… Il avait en effet connu un Alain Nubourgh quand, gamins, nous passions nos dimanches en uniformes et culottes courtes dans la forêt de Soignes. Cinquante ans plus tard, il était difficile que nous nous reconnaissions ! Le même scénario allait se reproduire lors de la consultation chez le cardiologue que j’avais également côtoyé dans des circonstances identiques. Je n’avais aucune idée de ce qu’ils étaient devenus et nous nous serions croisés dans la rue sans nous reconnaître. Décidément, Bruxelles est un village !
Le chirurgien voulait s’entourer de toutes les précautions et tous les jours, je me rendais à l’hôpital pour subir un nouvel examen : après l’échographie de la vésicule, je me prêtai à une échocardiographie, une épreuve d’effort, une prise de sang, une radio des poumons, un entretien avec l’anesthésiste avant de rencontrer finalement le chirurgien lui-même, né à Lubumbashi, au Congo, peu après l’indépendance. Il m’annonça que ma vésicule n’était pas assez « refroidie » — pourtant, la température en Belgique approchait de zéro degré ! – et il préféra reporter son intervention de quinze jours pour attendre que les antibiotiques fassent leur effet. Modification imprévue de mon calendrier !
Je profitai des quelques jours de répit supplémentaire avant mon opération pour rendre de rapides visites à quelques amis et membres de ma famille, découvrir une exposition d’art ottoman à la villa Empain ou celle consacrée à l’expédition sur le fleuve Congo au musée de Tervuren, faire des achats en ville, régler quelques problèmes administratifs avec la CTB... Mais le jour de l’intervention approcha vite sans que j’aie eu l’occasion de montrer à Blandine toutes les beautés de la ville de Bruxelles. Je me retrouvai donc, le jeudi 17 février en milieu d’après-midi, au service d’admission de l’hôpital Saint-Pierre, après avoir expliqué à mon épouse comment utiliser le tramway pour rentrer seule à la maison.
Dès l’aube du vendredi, le soleil n’étant pas encore levé, je fus réveillé par les maçons qui commençaient leur travail sur le chantier de la nouvelle aile du centre hospitalier. Une infirmière vint me préparer pour l’opération en me rasant délicatement le ventre et me fit ingurgiter un calmant. Mais ce n’est que vers 10 heures qu’elle revint, accompagnée d’un brancardier, pour sortir mon lit de la chambre et me mener vers la salle d’opération, quelques étages plus bas, après avoir parcouru un véritable dédale de couloirs.
L’anesthésiste me fit une piqûre qui m’envoya doucement au royaume de Morphée… Je me réveillai deux, trois ou quatre heures plus tard, difficile à dire, dans la salle de réveil où se trouvait déjà alignée une dizaine de lits identiques au mien.
Suite à une petite complication qui transforma l’intervention par laparoscopie en intervention « à l’ancienne » via incision de l’abdomen, je devais rester en observation encore quelques jours.
Le lundi à l’aube, on installa un autre patient dans le deuxième lit de ma chambre. Quelle coïncidence : il avait séjourné une dizaine d’années à Kinshasa dans les années 80 et était venu très souvent à Kisangani. Il me demanda des nouvelles du Congo et nous nous découvrîmes une connaissance commune qui y vivait toujours. Le monde est vraiment petit ! Nouvelle journée à me morfondre dans le lit, à lire et à regarder la télévision pour faire passer le temps. J’avais hâte de quitter cet hôpital, mais d’autre part, je m’y sentais en sécurité dans un lit parfaitement adapté dont je pouvais remonter la têtière motorisée grâce à une télécommande. Je me forçais à me lever de temps en temps pour migrer vers un fauteuil, au prix d’efforts très douloureux. L’infirmière m’annonça aussi que le chirurgien, qui devait me rendre visite dans le courant de la matinée, était subitement tombé malade. Eh oui, les médecins peuvent aussi être malades !
Mardi matin, je vis surgir dans l’entrée de la chambre un homme en blouse blanche entouré de toute son équipe. Le chef de service à n’en pas douter. Sans se présenter, il m’annonça de loin, d’un ton péremptoire, que je devais quitter la clinique le jour même. Souffrant encore énormément de ma cicatrice, quatre jours à peine après l’intervention, je lui rétorquai que je ne me sentais pas en état de quitter son service et lui réclamai un entretien avec un médecin. Vexé que le patient numéro 420.14.b se rebiffe, il tourna les talons après m’avoir promis sèchement de m’envoyer son assistant. Je me serais attendu à un peu plus de sollicitude et d’humanité de la part d’un médecin. Je n’étais finalement qu’un numéro qui occupait un lit. Finalement, cet assistant me rendit visite et lui au moins se présenta. Un « stagiaire » d’origine grecque qui venait à peine de débarquer en Belgique et qui ne baragouinait que quelques mots de français. Etait-ce un post-gradué qui venait se perfectionner ou le résultat du « numerus clausus » imposé par les politiciens belges pour réduire le nombre d’étudiants en médecine ? Pour mieux nous comprendre, la conversation eut finalement lieu en anglais. Je me serais attendu, au cœur des Marolles, ce vieux quartier de Bruxelles, à devoir plutôt faire appel à mes anciennes connaissances de flamand qu’à la langue de Shakespeare. Ce médecin, beaucoup plus aimable que son patron, m’accorda une nuit supplémentaire et me prodigua les conseils d’usage pour ma convalescence.
Mercredi, Blandine vint m’aider à m’habiller, car j’étais incapable de le faire seul, et je me traînai jusqu’au taxi qui me ramena à la maison
Au fil des jours, la douleur diminuait lentement, mais je restais cloîtré à la fois physiquement et moralement. Et c’est dans cet état d’esprit, tributaire des autres, que je repris l’avion vers le Congo, un beau pansement barrant encore mon abdomen. Je mettrai encore quelques jours, forcé par le travail qui s’était accumulé en mon absence, à reprendre goût à la vie.
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