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« Je déclare ouverte la campagne électorale à l’élection présidentielle et à la députation nationale du 28 novembre 2011, et vous souhaite à tous bonne chance ». Voilà le top-départ prononcé par le pasteur Ngoy Mulunda, président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) le vendredi 28 octobre. 18 855 candidats-députés de 417 partis et 11 candidats-présidents sont sur les starting-blocks. Pour seulement 500 sièges de députés et un siège de Président de la République ! Dans les jours qui suivront le 28 novembre, il n’y aura que peu d’élus sortis des suffrages exprimés par 32 millions d’électeurs. Cinq années après les premières élections libres et démocratiques de la République démocratique du Congo, les citoyens congolais sont amenés à juger le parcours accompli.
L’organisation de ces élections a été un travail de titan, car il a fallu d’abord identifier les électeurs, dans un pays grand comme 80 fois la Belgique où il n’y a pas de registre d’état civil et où les cartes d’électeur servent, faute de mieux, de cartes d’identité. Ensuite, concevoir 169 types de bulletins de vote différents dont certains, comme dans les quatre circonscriptions électorales de la ville de Kinshasa, comportent 56 pages vu le nombre de candidats. Pour les imprimer, cinq imprimeries sud-africaines ont été mises à contribution à Johannesburg, Durban et Cape Town. L’armée sud-africaine a été appelée en renfort pour distribuer jusqu’au 21 novembre ces tonnes de bulletins de vote dans les différentes provinces. Puis faire fabriquer en Chine 186 000 urnes transparentes pour équiper 62 000 bureaux de vote et enfin transporter tout ce matériel sur le terrain dans un pays où la plupart des routes sont impraticables. Une partie des quatre-vingts avions et hélicoptères de la MONUSCO, les forces de Nations-Unies — la troisième « compagnie » aérienne d’Afrique — a servi pour atteindre les coins les plus reculés du Congo, où parfois la sécurité n’est même pas garantie. L’Angola voisin vient de mettre à la disposition de la CENI dix hélicoptères supplémentaires pour assurer le transport du matériel électoral. Vu tous ces défis logistiques, certains craignent que les élections ne puissent pas avoir lieu à la date convenue malgré les paroles lénifiantes du président de la CENI.
Les candidats ont trente jours pour battre la campagne et convaincre les électeurs. Campagne à l’africaine aux bruits des klaxons dans les rues des villes ou aux sons des tams-tams dans les campagnes pour inviter les « ancêtres » à la fête. À Kisangani, dès le premier jour, les tolékas – les vélos taxis — et les motos taxis ont sillonné les rues du chef-lieu de la province Orientale. Certains portent sans vergogne un jour les couleurs d’un candidat et le lendemain celles d’un autre. Il suffit que le candidat loue leurs services pour une heure ou une journée. En fait de couleur, il s’agit plutôt, vu le nombre de candidats, du numéro de celui-ci pour que les électeurs retrouvent plus facilement leur favori sur le bulletin de vote. La circulation dans le centre-ville est en permanence perturbée par des cortèges bruyants de voitures avec des haut-parleurs ou des camions sur lesquels sont perchés au mépris de toute règle de sécurité des grappes de jeunes gens. Un tolékiste – c’est-à-dire un conducteur de vélo taxi – est candidat et tous les tolékistes de la ville sont derrière lui. Même Blandine quand elle se rend au marché se fait apostropher et son chauffeur de moto lui recommande de voter pour le numéro 48. Il est quasi certain d’être élu et les 238 autres candidats sont déjà convaincus qu’ils n’auront que quatre sièges de député à se partager pour la ville de Kisangani !
La campagne s’étend évidemment en dehors des villes, ce qui est normal, mais là les candidats ont beaucoup plus de difficultés à se déplacer. Lors d’une mission à 100 km de Kisangani, à Yangambi, que j’ai mis trois heures et demie à atteindre, j’ai croisé plusieurs cortèges de voitures. Dans chaque village, le candidat s’arrête, distribue des tee-shirts, des casquettes ou des biscuits avant de se présenter aux villageois. Les villages sont pavoisés de banderoles vantant les mérites des uns et des autres, mais pas la moindre trace d’un programme politique évidemment. Dans certains endroits, les candidats sont contraints de se déplacer en moto, les routes étant impraticables même pour un véhicule 4x4, sans compter certainement les villages perdus au fond de la forêt qu’on ne peut atteindre qu’en pirogue. Dur, dur de faire de la politique dans ce pays ! Mais tous espèrent toucher le jackpot, c’est-à-dire un salaire de 7 500 dollars par mois alors que la majorité de la population doit se contenter de survivre avec un dollar par jour.
Les tolékistes en campagne.
Un candidat dans un village.
Un Code de bonne conduite a été imposé aux candidats pour éviter les dérapages. Malheureusement, certains supporters trop pressés n’ont pas pu attendre et dans les jours qui ont précédé l’ouverture officielle de la campagne, des manifestations ont eu lieu sur le boulevard du 30-Juin à Kinshasa devant le siège de la CENI. Les militants de l’UPDS du vieil Étienne Tshisekedi se sont affrontés aux forces de l’ordre qui, à leur habitude, n’ont pas fait dans la dentelle. On dénombre déjà quelques morts et de nombreux blessés dans la capitale et dans certaines villes de l’intérieur comme Mbuji-Mayi. Pour Thierry Vircoulon, directeur du programme Afrique centrale d'International Crisis Group, qui a appelé avec 40 autres ONG à des élections « transparentes », ce n'est « pas très surprenant » et il faut s'attendre à des violences tout au long du processus électoral.
Pour éviter les dérapages, les candidats à la présidence seront entourés d’une garde formée de 25 policiers. Mais cela sera-t-il suffisant, surtout dans l’est du pays où des régions entières échappent au contrôle de l’armée nationale ? Des groupes armés comme le Front démocratique de libération du Rwanda (FDLR), l’ADF ou les Maï-Maï y font la loi en exploitant les ressources minières du pays. Ils n’hésiteront pas à détruire le matériel électoral qui risque de leur faire perdre leurs privilèges. Dans le nord de la province Orientale, les rebelles ougandais de l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA) continuent à harceler les populations du Haut-Uele, violant des femmes et enlevant des enfants.
La victoire est pratiquement assurée pour Joseph Kabila, le président sortant, qui dispose des moyens de l’État pour mener sa campagne. Pourtant, les populations de l’est du pays qui lui ont assuré le succès en 2006 sont déçues par l’insécurité qui continue de régner dans leur région. Ne parlons pas des populations de l’ouest et de Kinshasa qui ont toujours été opposées à Kabila, qu’elles considèrent comme un étranger. Les « cinq chantiers » promis à grand renfort de publicité n’ont pas vraiment eu d’impact pour le peuple. À Kinshasa, à part le boulevard du 30-Juin, les rues sont toujours dans un état lamentable et les délestages privent d’électricité la majorité de la population. À Kisangani, où je réside, ce n’est que depuis quelques mois que quelques équipes de Chinois creusent avec des pelles et des pioches des caniveaux, mais pas un seul mètre de goudron n’a été coulé dans une ville qui en a bien besoin. Dans le domaine de la corruption, rien n’est changé et il suffit de voir comment les agents de la DGM rackettent en toute impunité les passagers qui débarquent à l’aéroport de la ville. Il faut payer 1 000 francs congolais, environ un euro, pour récupérer ses papiers. D’après Transparency International, s’il y a bien eu des paroles, celles-ci ne se sont pas traduites dans les faits.
De plus, l’élection présidentielle ne connaîtra qu’un seul tour. Ce qui signifie qu’avec 15 à 20 pour cent des voix un candidat peut être élu. Quelle légitimité aura-t-il ? Joseph Kabila est quand même presque certain d’être réélu, car les dix autres candidats à la présidentielle ne parviennent pas à s’entendre sur une candidature unique. Un peu comme si les nombreux candidats socialistes à l’élection présidentielle française ne s’étaient pas ralliés à François Hollande. Un des rares sondages publiés par la presse congolaise donne Joseph Kabila gagnant avec plus de 32 % des voix devant Vital Kamerhe qui obtiendrait 22 %. L’opposant de toujours, Étienne Tshisekedi, qui malgré ses 79 ans et sa santé vacillante est toujours aussi optimiste, n’est crédité que de 20 % des suffrages. Il fait de la politique depuis 1960, l’année de l’indépendance, où étudiant en dernière année de droit il fut choisi par Mobutu comme Commissaire adjoint à la justice. On l’a attendu pendant plus de deux semaines à Kisangani, car il était en Afrique du Sud où il aurait eu le soutien de l’ANC. Mais l’avion privé qu’il avait loué pour atterrir dans la province Orientale ne parvenait pas à obtenir l’autorisation de la Direction de l’aviation civile, malgré les dénégations de celle-ci. Après Kisangani, il compte aller dans les autres villes de l’est, Isiro, Bunia, Beni, Butembo, Goma, Kalemie puis rejoindre Kinshasa pour un grand meeting au stade des Martyrs. De là, il devrait se rendre dans une jeep décapotable blindée dans le Bas-Congo pour finir son marathon électoral par la province de l’Équateur et le Kasaï, son fief.
Finalement, « le Sphinx de Limete » est arrivé jeudi 10 novembre à 22 h à l’aéroport de Kisangani où l’attendaient de nombreux militants malgré l’heure tardive. En dépit de l’obscurité qui règne sur les 17 kilomètres entre l’aéroport et le centre-ville, une foule nombreuse a convergé vers l’aéroport de Bangboka en moto, en vélo ou à pied. Le leader de l’UPDS a été contraint par la population qui agitait des rameaux ou des branches d’arbre de marcher des kilomètres à la lueur des phares des voitures, des motos ou des lampes-tempête voire même des bougies pour saluer les Boyomais massés sur son passage. Le lendemain, vendredi 11 novembre, vers 18 h, il a tenu un meeting devant la Grand' poste, au cœur de la commune de Makiso, devant plusieurs milliers de personnes. Pendant ce temps, ses militants l’attendaient en nombre à Kinshasa bloquant la route de l’aéroport. Les messages de la pyramide de sécurité de la CTB ne cessaient de tomber sur mon GSM pour me recommander de ne pas emprunter le boulevard Lumumba qui mène à N’Djili. Je plains les passagers du vol Brussels Airlines qui sont arrivés vers 20 h et ont dû parcourir les 25 km qui les séparent du centre-ville. On s’étonnera après ce manque d’organisation flagrante que les jeunes désœuvrés de Kinshasa soient virulents et mettent le feu, comme jeudi dernier, à un camion d’une entreprise chinoise qui réhabilite le boulevard Lumumba.
Dans la capitale congolaise, il faut redouter en cette période électorale et plus encore lorsque les résultats seront proclamés, vers le 6 décembre, le phénomène « kuluna ». Il s’agit de groupes de jeunes armés de machettes et parfois même d’armes à feu, constitués en gangs, qui s’en prennent aux populations des quartiers populeux. Ces bandes de voyous se battent entre elles et attaquent les citoyens, les rackettant ou détruisant leurs propriétés. La police est absolument inopérante et quand la population réussit à arrêter un de ces délinquants, qualifié d’incivique, elle le remet simplement en liberté après l’avoir dépouillé de son butin. À croire que certaines de ces bandes de malfaiteurs travaillent pour le compte des autorités judiciaires… On ne sait pas comment ils vont réagir dans les jours qui suivent le scrutin.
Lors de son discours de près de deux heures à Kisangani, Tshisekedi a réitéré les propos belliqueux qu’il avait tenus sur une chaîne de radio depuis l’Afrique du Sud. « Je donne un ultimatum de 48 heures au gouvernement Kabila, pour libérer tous nos combattants en prison à Mbuji-Mayi, Lubumbashi et à Kinshasa. Sinon, je demande à la base à Kinshasa de se mobiliser et d'aller casser la prison de Makala afin de libérer de force nos combattants arrêtés arbitrairement », a-t-il déclaré à la tribune sous les cris de la foule qui a hurlé à plusieurs reprises « Libérez ! Libérez ! Libérez ! » Il a aussi fustigé le Président sortant, mettant en doute ses origines congolaises et a menacé le ministre de la Communication et des Médias. Le lendemain, il est parti pour Isiro, Goma puis Kindu. Il est resté coincé dans cette ville de la province du Maniema, car son avion sud-africain l’a planté là faute de paiement ! Pas très sérieux pour un candidat à l’élection présidentielle…
Toutes les invectives de Tshisekedi ont provoqué la réaction de nombreuses ONG et pays étrangers. Même l’archevêque de Kinshasa, Laurent Monsengwo, a condamné les violences électorales en ces termes : « On se provoque, on s’arme de machettes, on casse et on brûle comme si on était en présence d’ennemis ou bien que la finalité des élections était de détruire le pays plutôt que de le bâtir ». Desmond Tutu, Prix Nobel de la Paix, se préoccupe lui aussi de la situation lorsqu’il déclare « Il faut être fou pour ne pas s’inquiéter de ce qui se passe au Congo ».
Kabila ne doit cependant pas être fier de ses résultats depuis 2006, car d’après le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), la RDC occupe toujours la 187e et dernière place au classement de l’Index de développement humain. Classement dont les premières places sont occupées par la Norvège, l’Australie et les Pays-Bas. Les pays occupant les dix dernières places sont tous situés en Afrique subsaharienne. Cet indice combine l’espérance de vie, le taux d’alphabétisation, le taux de scolarisation, le revenu par habitant.
Le candidat Joseph Kabila Kabange a débarqué à Kisangani le vendredi 18 octobre en provenance de Goma où il avait croisé le candidat Tshisekedi. L’UPDS en a profité pour attaquer le président sortant qu’elle accuse d’utiliser les moyens de l’État à des fins électoralistes en dépit de l’article 35 de la loi électorale. Soldats, policiers, fonctionnaires et édifices de l’État seraient mis à contribution pour assurer sa victoire. De plus, les gouverneurs des onze provinces se réclament de lui. Dernièrement, lors d’une prise d’armes dans les installations de la MONUSCO, à laquelle j’assistais, le gouverneur de la province Orientale, Médard Autsaï, n’a pas hésité devant les autorités onusiennes à prendre parti pour le candidat Kabila, alors qu’on célébrait la Journée mondiale des Nations-Unies. Lors de sa visite à Kisangani, le président Kabila en a profité pour visiter un hôpital préfabriqué construit à la hâte par une entreprise sud-africaine avant de parcourir à pied quelques kilomètres, en compagnie de son épouse, au marché central et sur le boulevard du 30-Juin. Pour se démarquer de ses opposants, il a ensuite pris la parole sur un podium dressé derrière la mairie de la ville et non pas sur les marches du bâtiment de la poste.
La foule accompagne Kabila.
Kabila à Kisangani.
De nombreux observateurs nationaux et internationaux vont suivre sur le terrain le déroulement du processus électoral pour s’assurer que celui-ci est libre et transparent. Il y aura 30 000 observateurs de la Commission Justice et Paix émanant de l’Église catholique, 4 000 du Réseau national pour l’observation et la surveillance des élections au Congo (Renosec), 3 000 du Réseau d’observateurs des confessions religieuses (Roc), etc. L’Union européenne a délégué 46 observateurs de long terme, présents depuis le 24 octobre, et 92 observateurs de court terme. Un budget de 9 millions d’euros est prévu pour assurer le fonctionnement de cette mission composée d’experts issus des 27 États membres. Une aubaine pour les hôteliers congolais qui accueillent, outre les observateurs, les équipes de campagne des candidats. Mais aussi un vrai business pour certains « experts » européens qui ne vivent que de missions d’observation électorale dans tous les coins du monde. Il leur suffit de faire deux ou trois missions grassement payées pour pouvoir vivre toute l’année. L’Union Africaine et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) seront évidemment présentes ainsi que la Belgique qui va financer l’envoi de parlementaires et de membres de la société civile. À Kisangani, nous attendons entre autres la sénatrice Marie Arena, ancienne Ministre-Président de la Communauté française de Belgique. Bref, la démocratie a réellement un coût en RDC.
Le gros problème à une semaine des élections, c’est la distribution du matériel électoral. Sept jours avant le scrutin, 7% du matériel seulement était distribué. Il y a un risque pour que dans les coins les plus reculés les urnes, les bulletins, les isoloirs ne soient pas en place pour le lundi 28. Car il ne suffit pas que le matériel arrive grâce à un véritable ballet aérien dans les 200 centres locaux, il faut aussi qu’il soit acheminé en vélo, à pied ou à bord de pirogues dans tous les bureaux de vote dont certains sont perdus au fond de la forêt équatoriale. La CENI se veut rassurante, mais les observateurs sont sceptiques.
Tout le monde espère que ces élections se dérouleront dans le calme. Mais comme toujours en Afrique, les rumeurs de fraude commencent déjà à courir dans la presse : un quotidien prétend que trois millions de bulletins de vote seraient déjà remplis en faveur d’un candidat, un autre qu’il y aurait des bureaux de vote fictifs alors que certains bureaux seraient supprimés pour empêcher les électeurs de voter… Le pire est cependant à craindre après la proclamation des résultats, surtout à Kinshasa qui est une véritable poudrière sociale. La jeunesse désœuvrée et non éduquée est excessivement dangereuse dans un pays où 25 % des enfants ne vont pas à l’école primaire et 60 % des adolescents ne fréquentent pas l’école secondaire. Dans la province de l’Équateur, dans le Kivu et les zones frontalières, des risques sont aussi à redouter. Le Parlement risque lui aussi d’être incontrôlable, car les élections des députés se font à la proportionnelle. On assistera donc à un émiettement du Parlement – rappelons qu’il y a plus de 400 partis – et qu’il sera difficile de trouver une majorité s’accordant sur un programme de gouvernement. En attendant, je croise les doigts en espérant que certains agitateurs ne prennent pas exemple sur ce qui se passe dans certains pays arabes.
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