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Le sang s’est remis à couler depuis quelques mois dans l’est de la République démocratique du Congo. En avril, plus de cinq mille déplacés ont afflué à Nia Nia, localité située à 340 km de Kisangani. Ces malheureux ont fui les affrontements qui opposent les militaires congolais et des miliciens Maï-Maï associés à des braconniers qui opèrent dans la forêt de la Réserve de faune à Okapi. Au mois de mai, les hommes de Morgan Ekasambaza, un ancien Maï-Maï d’Opienge, ont violé trente femmes dans le village de Molende, au sud de Bunia, dans l’Ituri. Ce qui porte à soixante-dix le nombre de femmes violées par ces hommes dans trois villages de ce district de l’est de la province Orientale. Selon des sources locales, confirmées par la société civile, ces miliciens ont aussi blessé trois hommes et ravi 500 grammes d’or.
Pire, les 24 et 25 juin, le site d’Epulu, au cœur de la réserve qui fait partie du patrimoine mondial de l’UNESCO, que j’avais visité il y a deux ans, a été envahi par une centaine de rebelles à moitié nus, dirigés par le même chef Morgan. Ils s’en sont pris aux populations locales, tuant au moins six civils, violant des dizaines de femmes alors que d’autres étaient emmenées comme esclaves sexuelles ou comme porteuses de leur butin de guerre. Les quinze okapis, espèce menacée de disparition, en captivité depuis 1987, pauvres cibles sans défense, ont été massacrés dans les vastes enclos financés par l’ONG américaine Gilman International Conservation. Dix « rangers » de l’ICCN (Institut congolais pour la conservation de la nature) ont également été abattus, dont quatre brûlés vifs. Les quelques rares camions qui osaient encore s’aventurer sur la route de l’Ituri se voyaient rançonner de 250 dollars au passage. Par bonheur, les camions kenyans qui transportaient la cinquantaine de containers de matériel destiné à la réhabilitation de la centrale de la Tshopo et du réseau électrique de la ville de Kisangani étaient passés quelques semaines plus tôt. La réaction des Forces armées de la RDC (FARDC) ne se fit pas attendre : elles reprirent possession du terrain et terminèrent de piller comme il se doit les lieux. Tout y passa : le domicile des particuliers, les boutiques, le centre de recherche de la réserve. Plus d’un million de dollars d’équipements scientifiques de la station de recherche, des GPS, des ordinateurs, des imprimantes, a disparu dans la nature.
Depuis, les militaires et leurs familles vendent les biens pillés à Bafwasende, cette cité proche de Kisangani. Ils mettent sur le marché, à bas prix, des objets de valeur, dont des ordinateurs, des appareils ménagers, des motos. Et de grandes quantités d’argent, en francs congolais ou en dollars, ont fait leur apparition dans la ville. Certains de ces hommes en uniforme dépensent des sommes inhabituelles, surtout quand on connaît leur paie, dans la boisson ou les vêtements. Le commandant de la 9e région militaire, le général Mushale, a dû reconnaître les faits et promit que des sanctions exemplaires seraient appliquées aux coupables. À voir…
En déroute, le chef Morgan a relâché deux cents otages, mais retiendrait encore une dizaine de femmes et de jeunes filles. D’après un otage libéré, « C’est depuis le 24 juin que nous avions été capturés par Morgan, le rebelle local d’Epulu. Nous étions 200 personnes. Dans ma famille, il a pris ma fillette de 13 ans, mes épouses et moi-même. J’étais transporteur. On a fait un voyage de six jours. Le septième jour, on nous a libérés. Mais on a retenu 11 femmes, dont une de mes épouses. Ils ont aussi violé ma fillette de 13 ans. Nous avons peur parce qu’il nous a promis qu’il reviendra encore à Epulu disant que “ce qu’il a fait, n’est pas suffisant. Il va venir massacrer la population.” Et nous vivons dans la crainte de son retour ».
Mais la situation est beaucoup plus préoccupante dans les deux Kivu où l’armée congolaise ne doit pas simplement affronter des groupes de braconniers. Depuis le mois d’avril, des affrontements meurtriers opposent les FARDC à différents groupes armés très structurés qui essaient de contrôler ces zones riches en or, en coltan et en cassitérite. Avec pour effet le déplacement de centaines de milliers de civils vers d’autres territoires. Allons-nous revivre la guerre civile qui a ensanglanté toute la région entre 1998 et 2003 ? Trois cents déserteurs de l’armée congolaise auraient rejoint le CNDP de Bosco Ntaganda, surnommé « Terminator », qui est pourtant recherché par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et enrôlement d’enfants. Le CNDP est une ancienne milice tutsi implantée dans le Nord-Kivu depuis 2003 et qui a rejoint l’armée régulière le 23 mars 2009. Ces rebelles avaient exigé, pour être intégrés dans l’armée régulière, le maintien des grades obtenus dans leur milice. Un autre groupe armé, les Maï-Maï Sheka, a mis la main sur un important gisement de cassitérite, oxyde d’étain utilisé dans la fabrication des appareils électroniques. Des affrontements ont eu lieu également avec les Hutus des FDLR, Forces démocratiques de libération du Rwanda. Une grande partie de ces combats se déroule au nord de Goma, dans le Parc national des Virunga, site inscrit lui aussi au patrimoine de l’UNESCO, où l’on craint la disparition des gorilles des montagnes.
Le 23 mars, un autre mouvement issu du CNDP, le M23 a vu le jour sous l’influence de l’ancien rebelle Nkunda actuellement en résidence surveillée au Rwanda. Malgré ses dénégations, le président du Rwanda voisin, Paul Kagamé, soutient de façon avérée l’insécurité qui règne dans l’est de la RDC depuis plusieurs années. Ce soutien aux diverses milices qui déchirent la région a longtemps été étouffé et Kagamé passait aux yeux de ses parrains anglophones, les USA et la Grande-Bretagne, comme un président modèle. Mais cette fois, trop c’est trop et la RDC a porté plainte devant le Conseil de sécurité des Nations-Unies. Les experts onusiens ont publié un rapport accablant qui démontre noir sur blanc comment Kigali apporte son soutien au M23 qui occupe le poste frontière de Bunagana et la ville de Rutshuru occupant un espace aussi grand que le Rwanda malgré l’intervention des hélicoptères de la MONUSCO, la Mission des Nations unies pour la stabilisation en RDC.
Rebelle des M23 sur les hauteurs de Bunagana.
Washington a finalement exigé que le pays des mille collines cesse immédiatement tout appui à la rébellion et toute intervention de son armée sur le sol congolais. Pour bien faire comprendre le message, le pays de l’Oncle Tom a suspendu la subvention de 200 000 dollars destinée à financer une académie militaire pour des officiers non gradés. C’est un véritable revirement de Washington qui a toujours soutenu le président Kagamé. La décision de Washington sonne « peut-être le début de la fin pour le soldat Kagamé, son permis de tuer et de piller depuis 1994 et la révision de la politique américaine dans les Grands Lacs », espère le journaliste français Pierre Péan, auteur d'enquêtes sur la région, cité par l’AFP.
De leur côté, l’Allemagne a suspendu 21 millions d’euros de contribution au budget du Rwanda et les Pays-Bas une aide au développement de 5 millions d’euros. Un coup dur pour Kigali dont le budget national dépend à plus de 45 % de l’aide apportée par des donateurs étrangers. La France, quant à elle, vient de saisir le Conseil de sécurité des Nations-Unies, mais se préoccupe plus de la tenue du XIVe sommet de la Francophonie qui doit avoir lieu à Kinshasa au mois d’octobre.
« Nous ne pouvons pas nous permettre un autre échec en RDC », a martelé pour sa part la ministre sud-africaine des Affaires étrangères alors que la Conférence internationale des chefs d’États et de gouvernements des Grands Lacs (CIRGL) réunie à Addis-Abeba, le 15 juillet, a suggéré de créer une « force neutre » internationale pour mettre fin au conflit. Mais à quoi serviront ces militaires alors que les 17 000 casques bleus de l’ONU ont démontré leur inefficacité depuis plus de dix ans ? Cela sera d’autant plus difficile qu’aux dernières nouvelles la présence de militaires ougandais a été signalée aux côtés des mutins. Va-t-on rejouer la guerre entre l’Ouganda et le Rwanda sur le sol congolais comme en 1999 et 2000 où les deux armées rivales se sont affrontées jusqu’à Kisangani ? L’armée congolaise qui dispose pourtant de l’appui des hélicoptères de combat de la MONUSCO ne parvient pas à prendre le dessus sur les mutins du M23.
Cette armée congolaise est totalement désorganisée depuis la politique de « brassage » qui a incorporé dans ses rangs tous les groupes armés qui pullulaient dans la région. Ce ne sont que des bandits de grand chemin sans foi ni loi qui ne songent qu’à piller les ressources du pays. Les soldats de la FARDC ont monté de véritables réseaux mafieux se livrant à la contrebande, au braconnage et à l’exploitation illégale des ressources minières et forestières. Un rapport établi par des experts mandatés par les Nations-Unies le dit clairement : « Des officiers, à différents niveaux de la hiérarchie des FARDC, se disputent le contrôle de zones riches en minerais, aux dépens de la population civile ». Leurs chefs sans formation se sont octroyé des grades et détournent la solde des hommes de troupe. Bosco Ntaganda a ainsi été propulsé au rang de général alors qu’il fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale. Selon le même rapport, il a formé au moins trois bataillons « secrets » exclusivement composés de ses propres hommes. Il taxe les populations locales et a fait du parc national de Virunga, où vivent des gorilles en nombre déclinant, un terrain d'entraînement pour ses nouvelles recrues.
Le 28 juillet, le commandant du 2e bataillon du 401e régiment des FARDC accompagné d’une centaine d’hommes, basé à une trentaine de kilomètres au nord de Goma, a déserté, car ils ne sont plus payés depuis trois mois. D’autres cas de désertion, avec destruction de matériel, ont été signalés par la hiérarchie militaire.
La situation s’aggrave de jour en jour, car la présence de militaires ougandais est maintenant signalée aux côtés des mutins du M23. Six véhicules de l’Uganda People’s Force seraient entrés sur le territoire congolais. Les soldats des FARDC ne cessent de reculer. Officiellement, ils « manqueraient de munitions »… et les rebelles sont mieux équipés. Comment des rebelles peuvent-ils être mieux équipés que l’armée régulière d’un pays de plus de 60 millions d’habitants ? Aux dernières nouvelles, leur objectif serait de prendre la ville de Goma, chef-lieu du Nord-Kivu. Cela peut sembler un objectif irréaliste, car cette ville est une place forte des casques bleus des Nations-Unies, censés y protéger la population civile. Mais je doute de leur volonté – et surtout de leur mandat – face à des rebelles déterminés. La chute de Goma serait une catastrophe et entraînerait certainement la réaction de l’efficace armée angolaise qui soutient le pouvoir central de Kinshasa.
Le but avéré du M23 et de ses alliés rwandais et ougandais est de créer un « Congo Oriental » avec le soutien de certains pays occidentaux et surtout de multinationales anglo-saxonnes attirées par les richesses minières et pétrolières. Ils comptent sur l’éloignement, l’incompétence, la corruption et l’immaturité politique du pouvoir de Kinshasa. Preuve de l’affairisme qui anime la classe dirigeante congolaise : l’octroi récent à des groupes pétroliers comme le français Total et l’italien ENI de permis d’exploration dans le parc national des Virunga où se déroulent actuellement les combats. Certaines personnalités occidentales se prêtent même au jeu en préconisant la répartition des ressources de la République démocratique du Congo. C’est le cas de l’ancien secrétaire d’État américain Herman Cohen voire de l’ancien président Sarkozy qui n’excluait pas la révision des frontières actuelles de cette partie du continent africain. Un porte-parole du M23 n’a pas hésité la semaine dernière à mentionner le démembrement du Congo par la création d’un nouvel état comprenant « le Kivu-Maniema, l’Ituri et les Uélé » qu’il a explicitement appelé « Congo Oriental ». D’autres parlent déjà, avec discrétion, d’un « Tutsiland » ou d’une « République du Graben », car l’objectif inavoué des rebelles est de chasser les populations autochtones et de les remplacer par des populations rwandophones, le M23 ne s’en prenant pas uniquement aux FARDC, mais aussi aux populations locales.
« La guerre d'agression contre la RDC n'a fait que commencer et elle est loin d'avoir dévoilé toutes ses facettes » écrit le quotidien kinois L’Observateur. En effet, si un calme précaire règne encore, plus au nord, dans l’Ituri, limitrophe de l’Ouganda et du Sud-Soudan, la situation est y préoccupante. Une Coalition des groupes armés de l’Ituri (COGAI) s’y est organisée et elle pourrait être une autre bombe à retardement prête à exploser. Les Himas qui peuplent cette région sont les « cousins » des Tutsis et ils rêvent comme eux d’une « République des Volcans » ou d’une « Swahili Republic ».
Les Rwandais n’ont jamais accepté les frontières arbitraires établies par les colons belges et allemands à la suite de la Conférence de Berlin en 1884-1885. Leur territoire est trop exigu pour leur population et il y a longtemps que les pasteurs tutsis comme les paysans hutus ont émigré vers l’ouest, au Kivu, au Katanga ou dans la province Orientale. Déjà en 1965, Laurent-Désiré Kabila avait promis aux Tutsis une partie du Kivu s’ils l’aidaient à renverser Mobutu. Mais à l’époque, cette rébellion échoua. Par la suite, Kagamé dès le début de sa conquête du pouvoir au Rwanda ne cacha pas son intention de créer une « République des Volcans ». Dans son livre, "J’ai serré la main du diable", le général canadien Dallaire, chef des casques bleus à Kigali en 1994 écrivit en parlant de celui qui n’était alors que le chef des FPR : « Ses yeux sont devenus comme fous, et sa voix s’est élevée de façon alarmante lorsqu’il a insisté en disant que le FPR allait imposer une hégémonie tutsi sur la région des Grands Lacs ». Le 23 octobre 1996, Laurent-Désiré Kabila aurait renouvelé sa promesse à ses parrains ougandais et rwandais de leur céder 300 kilomètres de frontière et une rétribution spéciale en récompense de leur aide. Promesse qui a été par la suite réfutée par les protagonistes.
Le problème est ravivé ces dernières années par l’attrait des ressources minières et pétrolières du Kivu. Quand les Belges occupaient le Congo, ils avaient l’habitude de dire que le pays était un « scandale géologique » en pensant surtout au cuivre, au cobalt, à l’uranium ou au diamant. Mais personne ne parlait à l’époque du coltan et de la cassitérite. Et pourtant, la RDC renferme un phénoménal potentiel en coltan et en cassitérite, deux minerais essentiels pour les appareils électroniques. Le coltan, parfois qualifié d’or gris, dont le nom exact est colombo-tantalite est composé de colombite et de tantalite. De la tantalite, on fait du tantale qui est utilisé pour fabriquer de minuscules condensateurs dont sont remplis les GSM, les ordinateurs, les téléviseurs, les caméras vidéos jusqu’aux systèmes de guidage de missiles et les satellites. Certains chiffres indiquent que la RDC renfermerait au moins 60 % des ressources mondiales de ce métal stratégique. Les mines d’où est extrait ce précieux métal se trouvent essentiellement au Nord-Kivu et sont contrôlées par des groupes mafieux aux mains des FARDC ou des FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda). Le minerai, souvent extrait par des creuseurs artisanaux, voire des gamins, rapporte à ceux-ci deux à trois fois plus que l’or et infiniment plus que l’agriculture. Il est ensuite transporté vers le Rwanda par des intermédiaires indiens, rwandais ou ougandais contrôlés par le Bureau du Congo situé au ministère rwandais de la Défense ! L’armée rwandaise aurait ainsi engrangé 250 millions de dollars de profit du pillage du Kivu entre 1998 et 2000. J’ai eu l’occasion de croiser sur la piste en latérite de l’aéroport de Béni, au Nord-Kivu, il y a quelques années, de vieux coucous russes aux immatriculations bizarres et des pilotes de même origine qui embarquaient des sacs au contenu indéfini. Certainement du coltan qui partait, en toute illégalité, par la voie des airs vers le Rwanda voisin. Il est ensuite transporté vers les sociétés allemandes et américaines qui en assurent le raffinage.
La cassitérite, elle, fut découverte en 1910 par les ingénieurs qui construisaient la ligne de chemin de fer entre Kindu et Kongolo. Elle est essentiellement concentrée dans les deux Kivu, le Maniema et le Katanga. C’est un minerai qui est souvent inclus dans les roches volcaniques abondantes dans cette région de la RDC. Il est connu depuis la préhistoire, car il est à la base de l’étain, mais a connu une envolée spectaculaire ces dernières décennies en raison de son utilisation dans tous les appareils électroniques. Il sert en effet à souder les composants divers et les microprocesseurs qui équipent nos ordinateurs, nos téléphones portables, jusqu’aux appareils électroménagers récents. Au Nord-Kivu, la plus importante mine de cassitérite, celle de Bisie, est sous le contrôle de la 85e brigade des FARDC qui exporte frauduleusement sa production vers le Rwanda voisin. Un autre gisement se trouve à Walikale, dans le Maniema, entre Bukavu et Kisangani et il est sous le contrôle de groupes armés hutus réfugiés dans la région depuis l’arrivée au pouvoir à Kigali de Paul Kagame. Les mines de cassitérite, à ciel ouvert comme celles de coltan, sont exploitées par des mineurs artisanaux qui y travaillent au risque de leur vie alors que les militaires rebelles ou réguliers s’en mettent plein les poches. En 2006, le Department for International Development (DFID) britannique estimait à 16780 tonnes les exportations réelles de cassitérite, alors que les douanes congolaises n’en comptaient que 6748 !
Mine de coltan.
Mercredi 1er août, une marche a rassemblé à Kinshasa et dans plusieurs villes des dizaines de milliers de fidèles catholiques qui brandissaient des banderoles fustigeant la « balkanisation » du pays et l’exploitation illégale des ressources naturelles. À Goma, les officiers de la MONUSCO tentent de rassurer la population civile en déployant des chars et des blindés frappés du sigle des Nations-Unies aux points névralgiques de la ville. Mais les jours qui viennent risquent d’être cruciaux si le gouvernement central et la communauté internationale ne réagissent pas.
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