- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
La rentrée scolaire a eu lieu le lundi 3 septembre sur toute l’étendue du territoire congolais, après deux mois de vacances. Pour une fois sans mot d’ordre de grève des syndicats des enseignants. Ce dont s’est réjoui, bien évidemment, le ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et professionnel, Maker Mwangu. Par contre, à Kisangani, à proximité de mon domicile du quartier des musiciens, plus de 4 000 élèves du Lycée Mapendano et de l’Institut Maele ont été renvoyés chez eux. Cette décision a été prise par l’archevêque métropolitain de Kisangani, les responsables de ces écoles et les parents d’élèves. Ils veulent protester de la sorte contre la spoliation du domaine de ces deux écoles par des personnes privées qui créent une zone d’insécurité dans l’espace scolaire. En effet, depuis de nombreuses années, des particuliers ont érigé leurs demeures sur ces immenses parcelles situées en centre-ville, accolant parfois leurs constructions aux bâtiments scolaires. Mais comment se peut-il que les gestionnaires de ces écoles conventionnées catholiques aient laissé au fil du temps ces envahisseurs occuper leurs terrains ? Certes, une grande partie de ces domaines était envahie par les herbes en attendant leur mise en valeur. Des chefs de quartiers peu scrupuleux et des fonctionnaires du cadastre et des titres fonciers en ont profité pour vendre des lopins de terre à des Boyomais naïfs alors que l’Église possède des certificats d’enregistrement à durée indéterminée délivrés à l’époque coloniale. Il semblerait que certains terrains aient été rétrocédés à l’État en 1990 par l’ancien archevêque de Kisangani et que d’autres aient été occupés sur la base d’un arrêté d’un ancien gouverneur de la province de l’ère Mobutu. Mais comme au Congo, il y a autant de vrais documents que de faux…
Constructions anarchiques à côté de l'Institut Maele.
D’autres conflits ont déjà opposé dans la ville de Kisangani les prêtres aux populations civiles qui envahissent illégalement des terres propriétés de l’Église. Ce fut le cas à la paroisse Saint-Gabriel où les religieux ont refusé en janvier 2011 aux riverains d’enterrer leurs morts dans un cimetière qui avait été déclaré saturé. Certains habitants prétendaient que « leurs arrières grands-parents avaient été autorisés verbalement par monseigneur Grison – le fondateur de la mission – à occuper cet endroit ». Mais monseigneur Grison, dont le buste orne un carrefour à l’entrée de la route qui mène à Simi-Simi, est mort depuis 1942 !
À plusieurs reprises, donc, depuis le début septembre, à Mapendano et à Maele, les autorités ont voulu faire déguerpir les « squatters » dont les habitations ne sont parfois faites que de terre, de bambous et de tôles. Les femmes ont immédiatement réagi en s’opposant aux forces de l’ordre la poitrine découverte… Pourtant, je ne pense pas qu’elles connaissent les militantes du mouvement ukrainien « Femen » qui manifestent les seins nus en Europe. Le ministre provincial des Titres fonciers a condamné l’occupation illégale de la propriété, mais il insiste pour que l’archevêque saisisse la justice pour obtenir un jugement de déguerpissement. Le bras de fer est donc engagé entre l’archevêché et les autorités de la province.
Il y a malheureusement plus grave au Nord-Kivu. Suite à la rébellion qui sévit dans la région, 258 écoles ont été détruites, endommagées ou occupées par des groupes armés. Les bancs et les chaises, quand ils existaient, ce qui n’est pas toujours le cas comme je m’en étais rendu compte lors de mes missions dans la région en 2006 et 2007, ont été démolis ou utilisés comme bois de chauffe. Le matériel pédagogique, livres et cahiers, a évidemment disparu. Environ 60 000 enfants, aux dires de l’UNICEF, ne pourront donc pas entamer la nouvelle année scolaire.
La situation est également délicate, pour une tout autre raison, dans la ville d’Isiro, ex-Paulis, à 300 km au nord-est de Kisangani, où le terrible virus Ebola a refait son apparition, il y a quelques semaines. D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus d’une dizaine de cas mortels ont été signalés, dont trois membres du personnel médical. Un peu plus au nord, dans la zone de santé de Viadana, onze cas, dont trois mortels, ont été prouvés. « La première personne décédée était un chasseur. Alors qu’il se trouvait dans le bush, il a trouvé un cadavre d’antilope et ne s’est pas demandé comment l’animal était mort. Il s’en est immédiatement emparé et l’a mangé… Il est tombé malade et il est décédé » a déclaré M. Kabange Numbi, le ministre de la Santé. Il s’agit d’une maladie foudroyante pour laquelle il n’existe aucun remède. Elle provient d’un virus qui resurgit régulièrement dans la région et qui est propagé par la consommation de viande de brousse. Les biologistes pensent que le réservoir de ce virus, pire que le VIH, serait des chauves-souris frugivores.
Cette maladie hautement infectieuse provoque des fièvres et des hémorragies par tous les orifices corporels et entraîne la mort dans la plupart des cas en quelques jours. Le personnel soignant des centres de santé est le premier exposé à la contamination et doit se protéger contre toutes les sécrétions des malades. D’après l’OMS, qui se charge de la coordination des soins pour que l’épidémie ne se propage pas, 169 personnes seraient en observation, car elles ont été en contact avec les morts. Des mesures draconiennes doivent être prises par le personnel médical et par les familles des malades suspectés d’infection : ne pas toucher sans protection les vomissures, les selles ou le sang d’une personne malade, ne pas laver un malade décédé, ne pas toucher les vêtements ou objets personnels d’un malade. La population est également appelée à des mesures de précaution extrême. Le comité de crise mis en place a instamment recommandé de ne plus se serrer la main et de ne plus consommer la viande d’un animal trouvé mort. Depuis lors, lorsque deux personnes se rencontrent, elles se saluent en se donnant un coup de coude. Les agents de santé doivent porter des gants, des tenues et des masques de protection qui les transforment en cosmonautes pour prévenir tout contact direct avec les patients infectés, le matériel de travail doit être soigneusement stérilisé. Les zones affectées doivent être mises en quarantaine pour empêcher que l’épidémie ne se propage aux autres villes de la province.
Pour éviter une catastrophe comme celle qui avait fait 350 victimes dans la province du Bandundu en 1995, le gouvernement avec l’aide de l’OMS et de MSF (Médecins sans frontières) a envoyé des équipes et du matériel sur place. Quarante tonnes de matériel et de produits pharmaceutiques ont été acheminées à Isiro. Un laboratoire mobile a été mis à la disposition des médecins locaux par le CDC (Centers for Disease Control and Prevention) d’Atlanta aux USA.
Dans l’est du pays, la rébellion continue même si les rebelles du M23 n’ont pas pu occuper Goma toujours protégé par les troupes de la MONUSCO. Mais tout le monde se demande comment un mouvement insurrectionnel de 4 à 600 hommes peut tenir tête à une armée dont l’effectif est estimé à quelque 130 000 hommes d’après le recensement biométrique effectué par les officiers européens de l’EUSEC. Certains parlent même de 150 000 hommes… car au Congo aucun chiffre n’est jamais précis quand il s’agit de dénombrer les fonctionnaires ou les soldats. Les généraux ont intérêt à gonfler leurs effectifs, car ce sont eux qui reçoivent la solde de leurs hommes qu’ils se partagent allègrement avec leurs officiers supérieurs au détriment des hommes de troupe qui sont forcés de survivre avec des miettes ou en rackettant la population civile. Il suffit de voir dans la plupart des villes du pays à qui appartiennent les plus grosses maisons et les plus beaux 4x4. « Il est courant qu’un soldat payé théoriquement 60 dollars par mois n’en reçoive que 5, chaque membre de la hiérarchie prélevant sa dîme » a expliqué à l’AFP la responsable d’une ONG travaillant avec l’armée. Il en va de même dans tous les secteurs de l’administration et j’avais pu le juger sur pièce quand je m’occupais du projet d’enseignement technique à Kinshasa. J’avais détecté dans certains organigrammes de nombreux fonctionnaires fictifs, mais il ne me revenait pas de les dénoncer. Le pays est pillé de façon endémique par ses voisins, mais aussi par ses propres élites administratives et militaires vu l’absence d’autorité de l’État qui n’ose pas nettoyer les écuries d’Augias. Une solution serait évidemment de payer tous ces fonctionnaires par virement bancaire, mais cela semble utopique étant donné le manque quasi total de banques dans le pays en dehors de quelques chefs-lieux de province.
L’armée régulière étant apparemment à cours de munitions après deux jours de combat contre les rebelles du M23 au nord de Goma, nous avons vu arriver à Kisangani des barges transportant des engins blindés et des caisses de munitions. Par malheur, le fleuve est en période d’étiage et les barges n’arrivent pas au niveau des quais. Comme la seule grue encore en fonction au port de l’ONATRA de Kisangani ne peut soulever plus de cinq tonnes, les militaires ont éprouvé toutes les peines du monde pour décharger leurs lourds engins. Ils sont provisoirement stockés au vu et au su de tout le monde sur l’aéroport militaire désaffecté de Simi-Simi. En effet, les porte-chars ne peuvent pas prendre la route du Masisi et du Kivu car celle-ci est fortement détériorée par les fortes pluies de ces dernières semaines. Sur le plan des effectifs, le gouvernement vient de lancer une campagne de recrutement de jeunes de 18 à 25 ans pour renforcer les FARDC, mais elle ne rencontre pas beaucoup d’engouement. Un jeune n’a pas hésité de déclarer à Radio-Okapi que « La vie est pénible pour nos militaires. C’est inhumain leurs conditions de vie ! Ils sont affamés et d’autres meurent. Ça nous fait peur d’être recrutés ». Pourquoi engager encore des jeunes inexpérimentés dans une armée en pleine déliquescence alors que les deux plus fortes armées d’Afrique, celle du Nigeria – deux fois plus peuplé que le Congo - et celle d’Afrique du Sud, ne comptent pas plus de 70 000 hommes ?
Pendant ce temps, de nombreux militaires, officiers en tête, continuent de déserter l’armée régulière pour rejoindre la Force de résistance patriotique de l’Ituri (FRPI) du chef de guerre Cobra Matata ou l’Alliance du peuple pour un Congo libre et souverain (APCLS) du chef Maï-Maï Janvier Karairi, un ancien commerçant. Ce dernier mouvement, qui revendique trois brigades et 4 500 hommes, est résolument anti tutsi. D’autres officiers n’hésitent pas à créer de nouveaux groupes rebelles. Le colonel John Tshibangu a, par exemple, annoncé le 16 août au Kasaï-Occidental la création d’un « Mouvement pour la revendication de la vérité des urnes » après s’être autoproclamé lieutenant-général. Il serait fastidieux d’énumérer toutes les désertions recensées par la MONUSCO et de donner les noms de tous ces groupes plus ou moins mafieux qui tentent de s’accaparer de parcelles du pays devant l’incompétence du gouvernement central. Depuis le début de la crise actuelle, plus de 500 000 personnes ont été déplacées et des milliers violés, blessés ou tués sous les yeux impuissants des casques bleus qui ne font que compter les coups. Au Nord-Kivu, les rebelles du M23 ont annoncé la mise en place d’un « cabinet politique » dont le secrétaire exécutif est l’ancien ministre de la Justice du Nord-Kivu aidé par dix chefs de départements pour assurer la gestion quotidienne du mouvement.
La population congolaise a appris avec surprise – mais était-ce une surprise ? – que le Rwanda avait retiré ses troupes de Rutshuru dans le Nord-Kivu. Selon Kigali, ces hommes faisaient partie d’un bataillon conjoint créé en 2009 avec les forces congolaises pour sécuriser la région et lutter contre les rebelles hutus rwandais du FDLR. À l’époque, une centaine de soldats rwandais des forces spéciales opéraient en territoire congolais, mais aujourd’hui ce sont trois cents hommes qui quittent le Congo. L’opposition crie au scandale, à l’existence « d’accords secrets » entre Kabila et Kagamé et accuse Kabila de « haute trahison » au moment où les Nations-Unies dénoncent l’implication du Rwanda aux côtés du M23. Les soutiens anglo-saxons de Kigali ont finalement compris après une vingtaine d’années de poudre aux yeux que Kagamé, utilisant le fond de commerce du génocide des Tutsis, abominable épisode de l’histoire de son pays, essayait d’accaparer les richesses de son voisin et était un obstacle à la paix dans la région. Mais ces pays occidentaux et ces sociétés minières multinationales sont-ils plus innocents, eux qui s’efforcent de conserver une place de choix dans une des régions les plus riches de la planète ? Plus de neuf millions de morts dans cette région depuis le génocide de 1994 seront-ils suffisants pour faire comprendre à la communauté internationale les véritables intentions du Rwanda et de ses alliés ?
Vers Tome VI - 20ème épisode <--- / ---> Vers Tome VI - 22ème épisode