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La province Orientale est-elle marquée du signe indien ? Cinq mois après le pont sur la rivière Lindi à Bafwasende, c’est le pont d’Epulu situé à 462 km de Kisangani qui s’est effondré le 13 septembre 2012. Ce village, situé sur la RN4 qui traverse de part en part la province, avait déjà été mis à rude épreuve en avril dernier lors des pillages par les rebelles du chef Morgan et des forces armées de la RDC qui avaient entraîné plusieurs morts et blessés ainsi que le massacre d’une quinzaine d’okapis. Un camion avec remorque transportant officiellement 75 tonnes de sucre sur un pont prévu pour supporter 25 tonnes… Même cause, même effet et même photo dramatique.
Dès le dimanche 16, 36 tonnes d’éléments métalliques ont été acheminées par avion-cargo sur Kisangani pour remplacer l’ancien pont Bailey de 1953 complètement détruit. Mais cette fois, la réparation prendra plus de temps, car le nouveau pont de type « Waagner Biro » devra être soutenu par de nouvelles culées en béton. Malgré les premières prévisions des autorités de l’Office des routes qui prévoyaient dix jours de travail, le passage ne sera pas rétabli avant le début novembre. Espérons-le, cette route étant vitale pour toute l’économie de la province orientale qui est extrêmement extravertie. Les prix des denrées alimentaires ont déjà grimpé sur les marchés de Kisangani. Sur le plan de la sécurité dans l’est du pays, une vingtaine de chars sont bloqués à Kisangani au vu et au su de tous en bordure de l’ancien aéroport de Simi-Simi, car ils ne peuvent pas rejoindre le Nord-Kivu. En attendant, les rebelles du M23 continuent d’étendre lentement leur emprise sur les collines qui prolongent celles du Rwanda. Mais ce genre d’engin blindé est-il vraiment adapté pour affronter des rebelles qui se déplacent dans la forêt ?
Le samedi 3 novembre, plus de quatre kilomètres de véhicules étaient alignés à l’entrée du pont. Les camionneurs attendaient avec impatience le feu vert des autorités pour se précipiter vers Kisangani. Les travaux étaient en effet terminés depuis le 31 octobre, mais le directeur provincial de l’Office des routes préférait attendre, à juste titre, que le béton ait pris complètement. Il ne voulait pas prendre le risque d’un nouvel effondrement après un mois et demi de travaux et 650 000 dollars de dépensés.
Nous attendons aussi les suites juridiques et pénales que l’État devra entamer à l’encontre de ce transporteur irresponsable. Il semble que, cette fois, le gouvernement soit résolu à aller jusqu’au bout. Pour le pont de Bafwasende, le transporteur a été sommé de payer 1 500 000 dollars de dommages et intérêts. Il faudrait que l’Office des routes se penche sérieusement sur l’état des routes nationales dont la plupart ont été construites dans les années qui suivirent la Deuxième Guerre mondiale. À cette époque les camions étaient nettement moins lourds, le trafic beaucoup moins important et la population moins nombreuse. Sans oublier, évidemment, l’absence récurrente d’entretien des ouvrages d’art, l’inconscience des transporteurs et la corruption des policiers qui négligent leurs responsabilités pour quelques billets verts.
Pendant ce temps, Kisangani a été le théâtre d’une rencontre musclée entre la police et les élèves d’une école primaire à cause d’un conflit opposant le propriétaire du terrain et le gestionnaire de l’école. « Tout a commencé lorsqu’un policier a cogné, à l’aide de sa matraque, un enfant qui s’est mis à saigner du nez. Après quelques minutes, les policiers ont lancé du gaz lacrymogène » a raconté un élève qui a assisté à la scène. Dans la débandade qui s’en est suivie, trois élèves ont été grièvement blessés tandis que d’autres se sont évanouis. L’établissement voisin a aussitôt été évacué, les enfants étant pris à la gorge et aux yeux par les gaz. Mon collègue congolais, Denis, alerté par un voisin, s’est précipité sur les lieux pour récupérer sa fille âgée de 11 ans et la ramener à la maison. Le ministre provincial de l’Enseignement primaire, secondaire et professionnel ainsi que le procureur de la République se sont rendus immédiatement sur les lieux pour condamner l’action inappropriée des forces de l’ordre. Le ministre n’a pas hésité à fustiger publiquement « la police qui ne peut pas larguer de gaz là où il y a des enfants ». Il a sur le champ déclaré la fermeture pendant trois jours des écoles environnantes pour que les enfants se remettent du traumatisme subit.
Le lendemain, j’ai eu la surprise, en me rendant au bureau le matin, de constater que la ville était quadrillée par des policiers casqués, munis de gilets pare-balles, de lance-grenades et de boucliers. De véritables robocops caparaçonnés des pieds à la tête. Était-ce la réaction des forces de l’ordre à cette bavure policière ? J’avais oublié que nous étions à la veille du XIVe sommet de la Francophonie qui devait se tenir à Kinshasa et que le pouvoir craignait des manifestations des partis d’opposition. Chose surprenante à Kisangani où la situation avait toujours été paisible même au plus fort des crises pré et postélectorales qui avaient soulevé la capitale de la RDC. Mais le nouveau chef de la police locale n’a pas voulu prendre de risque surtout que Kinshasa bruissait de bruits de démonstrations violentes de la part du parti d’Étienne Tshisekedi. Joseph Kabila devait être dans ses petits souliers, car certains de ses hôtes, comme la Première ministre québécoise Pauline Marois, n’avaient pas hésité de déclarer sur TV5 Monde qu’ils ne rencontreraient pas le président Kabila, mais qu’ils s’entretiendraient avec les partis d’opposition. La Francophonie comptait bien faire passer un message de liberté et de démocratie.
La veille de son arrivée, le 9 octobre, dans une conférence de presse commune avec le secrétaire général de l’ONU, le président français François Hollande avait publiquement indiqué que « La situation est tout à fait inacceptable sur le plan des droits, de la démocratie, et de la reconnaissance de l’opposition en République démocratique du Congo ». Lors de son escale à Dakar, il n’avait pas hésité, dans un discours prononcé à l’Université Cheick Anta Diop, à sonner la fin de la « Françafrique » en affirmant également que son gouvernement « ne fera pas obstacle » aux efforts menés par les Africains pour récupérer les « biens mal acquis » par certains de leurs anciens dirigeants. Rappelons que le néologisme de « Françafrique » avait été inventé par le président Houphouët-Boigny pour désigner un système d’influence piloté par l’Élysée et sa cellule africaine qui appuyait les régimes totalitaires des anciennes colonies françaises en faveur des entreprises métropolitaines.
Le président français alla même plus loin dans son discours, en saluant la transition démocratique du Sénégal et en déclarant qu’« il n’y a pas de développement ni de vrai progrès social sans démocratie ». « Le respect des droits de l’homme, l’égalité devant la loi, la garantie de l’alternance, des droits des minorités, la liberté religieuse : autant de valeurs universelles ancrées chez vous et qui doivent s’épanouir en Afrique ». De quoi faire bondir nombre de despotes africains qui se maintiennent au pouvoir depuis des dizaines d’années à la suite d’élections truquées ou en faisant disparaître des opposants. L’ombre du militant des droits de l’homme, Floribert Chebeya, président de l’ONG « la Voix des sans Voix », mystérieusement éliminé deux ans plus tôt, allait planer sur les assises de Kinshasa. François Hollande mit également en garde les « prédateurs » africains « qui pourraient se croire autorisés à voler les deniers de leurs propres pays ».
Dans un point de presse, la ministre française déléguée à la Francophonie, Yamina Benguigui, a, quant à elle, dénoncé les violences et les mutilations sexuelles et physiques dont sont victimes les femmes dans l’est de la RDC : « On a rarement vu autant de violence envers les femmes. Ce sont des femmes dont le viol est planifié. Lorsqu’elles sont survivantes, elles fuient les villages, elles vont porter la parole de peur ». Elle s’est également insurgée contre l’enrôlement des enfants dans des groupes armés et leur abandon par les familles. De son côté, l’Observatoire de la parité en RDC a voulu attirer l’attention des participants aux assises de la Francophonie sur l’égalité entre hommes et femmes. Il a attribué la « Houe d’or » au Sénégal qui a introduit des quotas électoraux pour permettre aux femmes d’accéder au Parlement. Dans ce pays, 65 femmes sur 150 membres participent au pouvoir législatif. La « Houe rouillée » a été attribuée au président Kabila pour la honteuse 116e place occupée par la RDC dans le classement mondial de la parité avec seulement 8,9 % de femmes à l’Assemblée nationale et l’absence d’efforts pour faire évoluer la situation. La « Houe d’argent » — petit cocorico belge – a été décernée à la Belgique pour sa 17e place au même classement avec 38 % de femmes et l’adoption de lois sur l’intégration de l’aspect genre dans la politique et les budgets.
Le samedi 13 octobre, dès six heures du matin, l’Airbus du président français s’immobilisa sur le tarmac de l’aéroport de N’Djili. Et pour bien marquer qu’il ne venait à Kinshasa que pour le sommet de la Francophonie, il repartit le soir même sans passer la nuit dans la capitale congolaise au grand dam des Kinois. Pourtant, le gouvernement congolais avait mis les petits plats dans les grands pour accueillir le gratin de la Francophonie. Depuis plusieurs semaines, l’entreprise chinoise qui refait le boulevard de l’aéroport a mis les bouchées doubles pour que les hôtes de la grand-messe francophone ne restent pas bloqués des heures durant sur les 25 km qui séparent N’Djili du centre-ville. Pour éviter d’ailleurs toute circulation intempestive sur ce boulevard, véritable enfer des automobilistes en temps normal, le gouverneur de la ville-province de Kinshasa a déclaré chômés et payés les vendredi 12 et samedi 13 octobre. Les habitants restant chez eux ne convergeront donc pas en masse dès l’aube vers le cœur de la ville, le ventre creux à la recherche de leur pitance quotidienne. Une armée de balayeurs a été déployée sur les artères principales et les monceaux d’immondices accumulés près du stade des Martyrs enlevés à la pelleteuse. Des poubelles ont été installées le long du boulevard du 30-Juin abondamment éclairé. Les nombreux petits marchands qui arpentent les rues ont été brutalement chassés par la police et les marchés informels rasés même dans les quartiers où les invités du sommet ne mettront certainement jamais les pieds. La RTNC, la radio télévision nationale, ne cesse de diffuser des flashs dithyrambiques qui laissent croire que le pays entier est en fête. Mais cela passe au-dessus des réalités du pays dont la majorité de la population lutte tous les jours pour survivre et est plongée dans la nuit faute d’électricité.
Qu’ont vu de la RDC tous ces hôtes de marque, accueillis dans le salon d’honneur de l’aéroport ? Ils ont été en permanence encadrés par les forces de l’ordre congolaises et ne sont passés de leurs hôtels de luxe aux salles de réunions que dans de belles limousines climatisées. Sur les boulevards empruntés par les véhicules officiels, fraîchement goudronnés, les immeubles ont été repeints et les chantiers dissimulés derrière des tôles ondulées ou des toiles décorées aux couleurs nationales et aux couleurs de la Francophonie. Par contre, quand on quitte le boulevard Lumumba ou le boulevard du 30-Juin, les rues et avenues sont toujours de véritables parcours du combattant. En dehors de ces travaux qui font partie des chantiers confiés aux Chinois, le gouvernement aura dépensé près de vingt millions d’euros pour refaire une beauté à Kinshasa comme une vieille femme qui espère que son lifting lui redonnera son lustre d’antan. Mais pour ceux qui connaissent bien la ville, ce n’est que de la poudre aux yeux. Où est passée « Kin-la-Belle » des années 1970 ? Et puis quels sont ceux qui auront réellement l’occasion d’aller à la rencontre de la population qui galère avec à peine un dollar par jour dans la « cité » insalubre et inondée lors des fortes pluies ? Dans nombre d’écoles primaires de la ville, les cours sont donnés en lingala, une des quatre langues nationales. Les enfants ne maîtrisent pas la langue officielle du pays qui n’est enseignée qu’en sixième année à quelques mois du test national de fin d’études primaires qui se fait en français. Cet examen, sésame pour accéder à l’enseignement secondaire, devient une véritable catastrophe. Et voilà que l’espace d’un court week-end - ou plutôt d’une fin de semaine, francophonie oblige – Kinshasa devient la capitale du monde francophone.
Il faut cependant reconnaître - et tout le monde semble d’accord là-dessus - que les Congolais ont réussi un exploit en organisant ce sommet de la Francophonie. L’organisation a été parfaite même si l’absence de nombreux chefs d’État ou de gouvernement s’est fait ressentir. Sur les 56 pays membres et associés de l’Organisation internationale de la Francophonie, seuls 30 chefs d’État et de gouvernement étaient présents à Kinshasa. Lors du sommet précédent, en 2010, à Montreux, en Suisse, 40 présidents et Premiers ministres de pays « ayant le français en partage » étaient présents. Même le Premier ministre belge affublé de son éternel nœud papillon rouge, le Wallon Elio Di Rupo, n’a pas fait le déplacement, contrairement à ses prédécesseurs flamands qui avaient assisté aux réunions précédentes. Mais il était excusable, car ce week-end-là se déroulaient les élections communales en Belgique.
Pour accueillir tous ces visiteurs d’un week-end, Kinshasa a réhabilité ses hôtels du centre-ville comme le Memling, qui appartient toujours à la liquidation de la Sabena et le Grand Hôtel (422 chambres), repris par le britannique Lonrho. L’ancien Centre de commerce international du Zaïre (CCIZ), équivalent du World Trade Center, a été transformé en hôtel de 237 chambres sous le nom d’hôtel Fleuve Congo. En tout, 1 049 hôtels de tous standings comportant 12 470 lits ont été recensés par les organisateurs du sommet de la Francophonie. Mais seuls 2 % de tous ces établissements se sont vu attribuer de trois à cinq étoiles.
Le gouvernement de la RDC a essayé en dernière minute de lancer quelques initiatives pour rassurer ses hôtes pointilleux sur le respect des droits des hommes et la transparence des élections. La session ordinaire du Parlement qui a débuté le 15 septembre a inscrit à son ordre du jour la restructuration de la Commission électorale nationale indépendante, la tellement décriée CENI, et la mise place de la Commission nationale des droits de l’Homme.
Illusions pour la plupart des participants occidentaux qui n’ont pas été dupes de ces effets d’annonce qui ne seront vraisemblablement pas suivis de résultats. Il a suffi à Kabila de voir le visage fermé et la poignée de main distante du président français lors de son arrivée au Palais du peuple pour comprendre que son hôte n’était pas dupe. Pour bien faire passer son message, François Hollande en rajouta une couche pendant que Joseph Kabila lisait son discours de bienvenue. Il ne lui prêta pas d’attention, préférant annoter son propre discours, sans l’applaudir comme tous les autres assistants. Qui plus est, lorsqu’il se leva pour aller vers le pupitre prononcer sa propre allocution, il ne lui jeta même pas un regard. « J’ai voulu me rendre personnellement ici à Kinshasa, au sommet de la Francophonie, pour une raison simple : je voulais témoigner du soutien de la France aux Congolais » sans un mot de remerciements au premier d’entre eux. En dehors de la séance plénière, le tête-à-tête entre les deux chefs d’État fut, paraît-il, glacial et le président français redit à son homologue congolais tout le mal qu’il pensait de sa façon de gouverner et de maltraiter les droits de l’homme. Pour encore enfoncer le clou, il consacra plus de temps aux cinq leaders de l’opposition qu’au président Kabila. Blaise Compaoré, président du Burkina Faso, Sassou Nguesso du Congo voisin ou Paul Biya, du Cameroun, qui ne sont pas non plus des parangons de démocratie, crièrent évidemment à l’affront.
Quelques jours plus tard, nouveau camouflet pour l’homme « fort » de Kinshasa : le 19 octobre, le Rwanda est élu par 148 voix sur 193 comme membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU ! Même la Belgique s’est abstenue… « Humiliation », tel est le mot qui court sur les lèvres de tous les Congolais dont la diplomatie dénonce depuis des mois l’agression dont est victime la province du Nord-Kivu de la part de son encombrant voisin. Malgré les rapports des experts de l’ONU, la rébellion du M23, soutenue ouvertement par Kigali, continue d’occuper une partie du territoire de la RDC, provoquant une véritable catastrophe humanitaire. Preuve de la déliquescence d’un État dirigé par un « nain » politique qui s’accroche au pouvoir depuis sa réélection contestée de décembre 2011. D’autres présidents seraient montés au créneau et auraient fait le tour des capitales occidentales pour battre le rappel de tous leurs soutiens. Kabila, lui, en véritable autiste, s’est muré dans un silence assourdissant laissant parler sur les médias publics son seul ministre de la Communication, Lambert Mende.
Dernier outrage en date : l’élection du gouverneur de la province Orientale. L’ancien gouverneur Médard Autsaï ayant été élu député national, il fallait procéder à son remplacement même si les élections des députés provinciaux ont été reportées sine die faute de moyens. Trois candidats étaient sur les rangs et Kabila en personne vint soutenir son candidat Jean Daruwezi en se faisant accompagner de trois ministres nationaux réquisitionnés pour la cause. Selon les mauvaises langues – mais tout est possible dans le bourbier politique congolais et cela m’a été confirmé par un beau-frère de mon épouse, lui-même député provincial de l’Équateur —, des enveloppes auraient été distribuées aux 95 députés provinciaux pour qu’ils votent pour le candidat de la Majorité présidentielle (MP). Par sursaut de démocratie, les votants rejetèrent le diktat présidentiel et reléguèrent celui-ci à la troisième place avec 25 voix, contre 42 voix pour Ilongo Tokole et 27 pour Jean Bamanisa, deux candidats indépendants. À l’issue du deuxième tour, Jean Bamanisa Saïdi l’emporta par 48 voix contre 45. Un signal fort contre les tendances dictatoriales de la Majorité présidentielle et de son mentor.
Dès les résultats connus, malgré une légère pluie, un bruyant cortège formé de dizaines de véhicules, de centaines de motos-taxis et de milliers de tolekas, les fameux vélos-taxis, a sillonné la ville. Le vainqueur était porté en triomphe aux cris de « province Orientale libérée du pillage » et « mundele na biso » autrement dit « notre blanc ». En effet, Jean Bamanisa est un quarteron de mère métisse originaire de l’Ituri et de père médecin polonais arrivé au Congo en 1923 pour le compte de la Forminière. Sa femme est une sœur de Jean-Pierre Bemba actuellement incarcéré à la Cour pénale internationale de La Haye et opposant notoire de Kabila. Jean Bamanisa est un homme d’affaires bien connu dans les domaines de l’immobilier, de la distribution des produits pétroliers, de l’agriculture et de la restauration. Il a été Administrateur délégué de la Fédération des entreprises du Congo (FEC) de 1998 à 2004. Élu député national de 2006 à 2011, il fut parmi les membres les plus actifs de l’Assemblée nationale en s’efforçant d’introduire dans la gestion de l’État une obligation de résultat comme dans les entreprises privées. D’entrée de jeu dans sa campagne électorale à Kisangani, il n’hésita pas à proclamer « Demain, nous allons passer aux élections des organes délibérants ou des structures des entités décentralisées administratives à partir des chefferies, des communes. Nous risquons de ne pas avoir des infrastructures, du personnel, une administration avec des ordinateurs... Cela risque de faire perdre beaucoup de temps et d'argent à cette province, si rien n'est fait, dit-il. D'où l'urgence de mettre en place les fondations d'une nouvelle gouvernance ».
Quelle ne fut pas ma surprise, quelques jours après son élection, d’être convoqué à son domicile en présence du directeur provincial de la Société nationale d’électricité. Il n’était pas encore officiellement investi, mais il voulait déjà savoir comment évoluait le projet d’Appui à la fourniture de l’électricité à la ville de Kisangani. Ma surprise fut d’autant plus grande qu’il était déjà bien informé des potentialités hydroélectriques de sa province et qu’il était très ouvert à la discussion, ayant une véritable vision pour le développement de sa région. Le jour et la nuit avec son prédécesseur que je n’avais rencontré qu’une seule fois en trois ans dans des conditions ubuesques.
En effet, dix-huit mois après mon arrivée à Kisangani, en août 2011, le gouverneur Médard Autsaï daigna recevoir les membres de la Structure mixte de concertation locale, organe de décision de mon projet. Nous étions assis dans la salle de réunion du gouvernorat entouré de plusieurs ministres provinciaux et de conseillers de ministres nationaux venus spécialement de Kinshasa. Après une heure d’attente, le gouverneur fit son entrée la mine renfrognée. Circulant au milieu de l’assemblée, il commença pour tancer les participants qui n’étaient pas venus lui présenter leurs civilités dès leur descente d’avion. Il rappela que lorsqu’on débarque quelque part, on doit aller d’abord saluer le maître de maison. Il apostropha les uns après les autres tous ses collaborateurs locaux comme un instituteur s’adressant à des élèves de première année primaire. Je ne savais où me mettre tellement j’étais gêné pour ces personnalités avec lesquelles je travaillais depuis plus d’un an. Son numéro achevé, il s’étonna que les travaux ne fussent pas terminés avant les prochaines élections présidentielles. Je lui expliquai avec beaucoup de diplomatie qu’un turboalternateur ne se trouvait pas sur les linéaires d’un super marché en Europe. Qu’il fallait d’abord faire des études, lancer des appels d’offres respectant les règles des marchés publics belges, tracer les plans, lancer la fabrication et transporter le matériel jusqu’au milieu du continent africain. Il semblait peu convaincu de mon discours et s’étonna que l’argent de la coopération belge ne fût pas géré par ses services. Remarque pleine de sous-entendus… Je dus me faire violence pour ne pas lui rétorquer que lorsqu’on reçoit un cadeau, on commence par remercier le donateur ! Il voulait le beurre et surtout l’argent du beurre. Ne parlons même pas de la crémière, car il aurait réclamé, vu son âge, que la Belgique lui fournisse aussi le Viagra !
Il s’en prit alors au directeur provincial de la société d’électricité, le menaçant de le remettre dans un avion pour Kinshasa alors qu’il s’agissait d’un ressortissant de Kisangani… Son fiel déversé sur l’auditoire, il déclara qu’il devait aller d’urgence accueillir quelqu’un à l’aéroport et chargea son vice-gouverneur de visiter le chantier de la centrale de la Tshopo. Mon voisin, au courant des bouffonnades du personnage, me souffla à l’oreille qu’il était fatigué et qu’il allait dormir dans son bureau… Je sortis de cette réunion complètement abasourdi en pensant que si le Congo était géré par ce genre d’individu, il n’était pas prêt de sortir du trou.
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